L’obstination de l’administration fiscale à taxer dans le chef des contribuables, dirigeants d’entreprise ou employés, un avantage en nature résultant de l’acquisition, par ce contribuable, d’un véhicule que la société avait pris en leasing et mis à leur disposition pendant un certain temps dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, a trouvé des échos divers en jurisprudence.
Pour le contribuable, il était possible de contester cette taxation sur deux fronts : celui de la validité des preuves apportées par l’administration, et celui de la validité du raisonnement juridique de celle-ci.
Le
second argument n’a pas reçu, de manière générale,
un écho favorable dans la jurisprudence, puisque dans leur
toute grande majorité, les tribunaux ont estimé qu’il
y avait bel et bien avantage en nature, et que cet avantage devait
être calculé sur base de la différence entre le
prix « normal » du véhicule, estimé
généralement sur base du Moniteur Automobile, et le
prix payé par l’acquéreur du véhicule, ce qui
est particulièrement contestable dans l’hypothèse où
le dirigeant ou l’employé
a conclu le contrat de vente
directement avec la société de leasing, sans passer par
la société dans le cadre de laquelle il exerce ses
fonctions.
Le premier argument n’a pas été accueilli de manière plus enthousiaste. Il consiste à contester la validité des preuves apportées par l’administration fiscale pour soutenir la taxation, car ces preuves proviennent de renseignements demandés aux sociétés de leasing elles-mêmes.
Un jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles du 2 septembre 2004 pourrait cependant redonner un peu d’espoir aux contribuables dont la procédure de contestation de l’impôt est toujours en cours dans cet arrondissement judiciaire.
Traditionnellement, le contribuable soutient que l’article 318 CIR 1992, instaurant, dans certaines limites, le principe selon lequel l’administration fiscale ne peut recueillir des renseignements auprès d’établissements de crédit pour taxer les clients de ceux-ci est applicable, et que l’opération de location-financement – à ne pas confondre avec les locations à long terme, qui sont également fréquemment utilisées par les sociétés pour mettre à disposition de leur personnel un véhicule de société, et qui ne sont pas sont pas du tout soumises au même régime – relève de l’activité de crédit. Le secret bancaire de l’article 318 CIR 1992 est donc applicable à la société de leasing.
Tout aussi traditionnellement, l’administration fiscale soutient que la société de leasing ne reçoit pas de dépôts d’argent du public et n’est donc pas un établissement de crédit, mais un établissement financier.
Le Tribunal de première instance de Bruxelles constate que le champ d’application de l’article 318 du Code n’est pas limité aux seuls établissements de crédit, dont l’activité principale consiste en effet à recevoir des fonds du public, mais vise également les établissements de banque, de change et d’épargne.
Le Tribunal en déduit que l’administration fiscale ajoute une condition à la disposition prévue par le Code, en interprétant celle-ci de manière à limiter son champ d’application aux établissements de crédit, pour en exclure les établissements financiers ; en outre, il souligne que dans le commentaire administratif, l’administration fiscale elle-même se garde de limiter l’application de cette disposition aux seuls établissements de crédit recevant des fonds du public.
Il reste à déterminer si l’activité visée de la société de leasing est concernée par les activités protégées par l’article 318 du Code.
Le Tribunal estime, à juste titre, que la location-financement est un contrat sui generis qui comporte plusieurs éléments indivisibles, notamment l’achat d’un bien par le donneur sur les indications du preneur, pour le mettre à la disposition de ce dernier par le biais d’un contrat de bail comprenant de nombreuses clauses dérogatoires au droit commun, une option d’achat en faveur du preneur au terme du contrat, et une opération de crédit.
Contrairement à ce qu’invoque l’administration, le Tribunal considère que l’objet principal de la convention de location-financement n’est pas la mise à disposition d’un bien, mais l’opération de crédit, qui implique, notamment, que le montant des redevances périodiques soit supérieur à la valeur de jouissance du bien, car il comprend tant le prix d’achat en capital, que les frais de l’entreprise et surtout, les intérêts qui accompagnent la mise à disposition d’un capital.
Le Tribunal décide donc que le contrat de location-financement comporte une opération de crédit, tout comme les contrats de crédit-bail et de vente à tempérament, qui sont eux expressément visés par la loi relative aux statuts et au contrôle des établissements de crédit, et dont l’administration fiscale, dans son commentaire du Code, ne conteste pas qu’ils sont bien visés par l’article 318 du Code.
Les renseignements obtenus par l’administration l’ont donc été illégalement et ne peuvent fonder une taxation valable, celle-ci devant par conséquent être annulée.
Espérons que ce jugement fera jurisprudence.