Il n’est plus rare aujourd’hui que l’administration fiscale estime pouvoir « visiter » le siège d’une société, sans s’être préalablement annoncée, en vue d’effectuer le contrôle de sa situation fiscale.
Nombreux contribuables concernés par telle situation relatent dans ce contexte une véritable « perquisition » effectuée par l’administration, avec arrivée massive et impromptue d’un grand nombre d’agents. Les contribuables font état des comportements suivants, adoptés par les agents du fisc : certains, ayant pénétré dans les bureaux des locaux visités, ouvrent les armoires sans ménagement, fouillent vigoureusement dans les documents présents dans et sur les bureaux, également dans les effets personnels des membres du personnel et des personnes présentes ; d’autres, prennent la main sur les ordinateurs desdits membres du personnel, pour en assurer l’extraction de toutes les données, tant privées que professionnelles ; et d’autres encore, procèdent à des auditions, sommant souvent les dirigeants présents, et d’autres membres du personnel, de répondre aux questions qui leurs étaient posées, à l’effet d’un véritable interrogatoire de police. De très nombreuses photographies sont souvent prises à l’occasion de la visite, sans qu’aucun inventaire n’en soit dressé sur place.
L’on ne le dit pas assez, mais malgré ses pouvoirs importants et sans cesse grandissants, l’administration fiscale ne possède toutefois pas le droit de procéder à une « recherche active » lors de telle visite des locaux d’une entreprise. Par ailleurs, le CIR92 apporte des limites aux pouvoirs d’investigation que le fisc peut exercer dans ce contexte.
Le droit au respect de la vie privée est un droit fondamental consacré tant par la Constitution belge (articles 15 et 22), que par la Convention européenne des droits de l’homme (article 8, CEDH). Il s’étend aux locaux professionnels.
Il est certes permis au législateur d’y « déroger », mais toute ingérence des autorités dans le droit au respect de la vie privée et du domicile doit être permise par une disposition législative, suffisamment précise, qui correspond à un besoin social impérieux et qui soit proportionnée à l'objectif légitime poursuivi par celle-ci. Le CIR92 contient telle dérogation sous son article 319, qui permet aux agents de l'administration, munis de leur commission, d’obtenir le libre accès aux locaux professionnels, à toutes les heures où une activité s'y exerce, à l'effet de permettre à ces agents de constater la nature et l'importance de ladite activité, de vérifier l'existence, la nature et la quantité de marchandises et objets que ces personnes y possèdent, et d'examiner tous les livres et documents qui se trouvent dans les locaux précités. Les agents peuvent en outre vérifier, à cette occasion, la fiabilité des informations, données et traitements informatiques.
Cet article 319, CIR92, au titre de base légale, octroie-t’il à l’administration fiscale un « droit de perquisition » similaire à celui organisé par le Code d’instruction criminelle. Il s’agirait, concrètement, d’un « droit de recherche actif » qui serait alors accordé aux fonctionnaires de l’administration fiscale ?
La réponse à cette question nous paraît devoir être négative. Le Ministre des Finances a lui-même rappelé, à plusieurs reprises par le passé, que le droit de visite des agents du fisc diffère de celui du droit d’investigation prévu par le Code d’Instruction criminelle. La Cour Constitutionnelle l’a également consacré dans un arrêt de 2017. Le droit d’investigation dans les livres et documents du « contribuable » est en effet circonscrit par les conditions énumérées aux articles 315 et suivants, du CIR92. Il s’en déduit que l’administration fiscale ne peut rechercher « activement » ses informations.
Ainsi, les fonctionnaires ne peuvent s’emparer de pièces sans qu’ils les aient au préalable sollicitées auprès du contribuable. Les agents n’ont ainsi pas le droit de forcer l’accès aux locaux professionnels, d’ouvrir les armoires et tiroirs, de rechercher des informations sur les ordinateurs de l’entreprise, d’interroger le personnel sans l’autorisation de l’employeur, de fouiller dans les effets personnels des personnes présentes (tels des sacs ou mallettes), d’investiguer dans les archives, etc.
L’administration fiscale laisse par ailleurs souvent croire au contribuable qu’elle a le droit de retenir certains des documents découverts lors de la « perquisition » déguisée, voire les photographies prises lors de la visite. Elle invoque à cet égard l’article 315ter, CIR92. A l’occasion de ses « visites », l’administration fiscale estime en outre systématiquement pouvoir exercer le droit d’accès à tous les dossiers et supports d’information, et de copier de tous les logiciels et fichiers qui se trouvent sur les ordinateurs de la société. L’administration fiscale prétend fonder son droit sur les articles 315 et 315bis, CIR92, notamment.
Le droit de rétention, lorsqu’il peut être exercé par l’administration, ne peut toutefois servir à remédier à une visite qui serait irrégulière, parce que mettant en œuvre une « perquisition » déguisée. Ni l’article 315bis, CIR92, ni l’article 319, al. 3, CIR92, n’autorise de plus l’administration fiscale à (faire) effectuer des copies (« back-up ») des données informatiques qu’elle estime pouvoir consulter. Le droit de rétention de l’administration fiscale, organisé à l’article 315ter, CIR92 n’est en effet pas étendu aux données informatiques. Les ordinateurs ne constituent en effet pas des livres ou documents…
Les agents du fisc profitent également de la visite des locaux afin de procéder à des auditions. En vertu de l’article 325, CIR92, l’administration fiscale qui entend auditionner un témoin doit convoquer le contribuable, par lettre recommandée à la poste, pour qu’il assiste à l’audition du témoin. Celui-ci dispose également, en vertu de l’article 326, CIR92, du droit de faire valoir les déclarations qu’il souhaite faire acter dans le cadre de la procédure. Lorsqu’elle auditionne les dirigeants présents sur place lors de la visite, il n’est pas rare de constater que l’administration se dispense de reproduire les questions et réponses exactes échangées lors de l’audition. Le contribuable en ressent souvent une déformation, à tout le moins une « décontextualisation » de ses propos, qu’il estime déforcer sa position.
L’administration fiscale revendique la plupart du temps qu’elle n’aurait ainsi procédé qu’à de « simples » demandes de renseignements visées par l’article 322, CIR92. La conséquence de telle thèse n’est pas sans importance : les termes consignés n’ont alors pas la même valeur probante que ceux issus d’une réelle audition de témoin, puisqu’ils émanent alors de l’administration elle-même.
Si, en dépit de l’interdiction qui leur en est faite, les agents du fisc mettent toutefois en œuvre telle « perquisition informelle », ceux-ci commettent ce que l’on nomme un détournement, ou excès, de pouvoir. En cette hypothèse, le contribuable pourra, et devra, faire valoir que la « visite » des locaux est entachée de nullité. S’il y a une imposition établie à la suite de la procédure ainsi menée, et que le contribuable peut démontrer que cette imposition est enrôlée sur la base des pièces recueillies lors de la visite irrégulière, il pourra, et devra, réclamer son annulation. A tout le moins, il pourra invoquer que la visite des locaux doit être considérée comme constitutive d’un abus de droit, du fait de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée en général, et du domicile en particulier, et des principes de bonne administration (dont les principes du raisonnable et de proportionnalité, et de fair-play) que l’administration fiscale doit pourtant respecter, dans le cadre de l’exercice de la mission qui lui a été conférée.