Jusqu'il y a peu, la France ne taxait pas les sommes que perçoivent ses résidents en exécution de contrats d'assurance-vie ou d'engagements contractuels de versement d'un capital extra-légal au moment de la mise à la retraite.
Il suffisait dès lors, pour le contribuable belge, de transférer son domicile en France avant la mise en paiement du capital tenant lieu de pension pour échapper à toute taxation sur les sommes versées, et s'assurer ainsi une pension plus confortable sous des cieux généralement plus cléments.
Afin de remédier à cette situation, la loi belge du 28 décembre 1992 a introduit dans le Code un article 364bis qui prévoit que lorsque ces capitaux "sont payés ou attribués à un contribuable qui a préalablement transféré son domicile ou le siège de sa fortune à l'étranger, le paiement ou l'attribution est censé avoir eu lieu le jour qui précède ce transfert".
Par le biais de cette fiction légale, l'administration peut ainsi considérer que le paiement a été fait à une époque où le contribuable était toujours domicilié en Belgique, de telle sorte que la somme versée est imposable dans notre pays.
La Cour d'appel de Bruxelles a eu récemment à se prononcer sur la conformité de cette disposition légale avec les conventions préventives de double imposition.
En l'espèce, le gérant d'une société belge était parti s'établir en France avant de percevoir le capital extra-légal que lui avait promis la société, laquelle avait de son côté souscrit une assurance dirigeant d'entreprises pour faire face à cette charge.
Par application de l'article 364bis, l'administration belge a imposé ce capital dans le chef du gérant, au taux distinct de 16,5 %. Le gérant a introduit une réclamation contre cette imposition, au motif que cette disposition légale ne pouvait trouver à s'appliquer étant donné qu'elle est contraire à la convention franco-belge préventive de la double imposition.
Saisie de cette question, la Cour d'appel commence par rappeler que la Convention franco-belge préventive de double imposition ne peut être modifiée que par voie d'un accord bilatéral, et non unilatéralement par l'un des deux Etats concernés.
Elle constate ensuite, d'une part qu'il n'est pas contesté que dès avant la mise en paiement du capital, le gérant de la société était résident français, pour y avoir établi son foyer permanent d'habitation (article 1, 2°, de la Convention), et d'autre part que le pouvoir d'imposition de ce type de revenus est attribué exclusivement à l'état de résidence (article 18 de la Convention), de sorte que ces revenus sont exonérés de tout impôt en Belgique (article 19.2. de la Convention).
Fort de ces constatations, la Cour d'appel considère que l'article 364bis du CIR contrevient à l'ensemble de ces dispositions de la Convention en accordant, par le biais d'une fiction établie unilatéralement, le pouvoir d'imposition à la Belgique.
Elle observe en outre que la même disposition légale viole également les articles 26 et 27 de la convention de Vienne du 23 mai 1969, dans la mesure où le régime de l'article 364bis du CIR a été introduit dans le seul but d'éviter l'application de la Convention franco-belge préventive de double imposition.
Eu égard à la primauté des conventions internationales sur le droit interne, rappelée par ailleurs par la Cour, celle-ci se refuse d'appliquer l'article 364bis du CIR et accueille ainsi le recours du gérant retraité.
L'absence de conformité de notre disposition légale avec les conventions internationales préventives de la double imposition, dénoncée depuis longtemps par certains, se trouve ainsi clairement confirmée par la jurisprudence. On ne peut que se réjouir de cette décision, même si elle intervient un peu tard au regard des modifications apportées à la loi fiscale française, qui rendent moins attrayant le transfert de la résidence chez nos voisins. Reste les cieux plus cléments …
Martin VAN BEIRS