A la différence des personnes physiques, pour lesquelles toutes les dépenses à fonds perdu non pas obligatoirement un caractère professionnel, mais simplement privé, les frais des sociétés sont nécessairement professionnels, puisque leur patrimoine est affecté exclusivement à une activité professionnelle déterminée. Par application de l'article 49 du CIR, ces frais professionnels sont en principe déductibles, lorsqu'il s'agit de dépenses volontaires, pour autant qu'ils aient été "supportés en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables".
Ces principes, fort anciens, n'ont été remis en cause dans le passé qu'en de rares occasions, notamment en ce qui concerne la déductibilité de certaines dépenses payées en exécution de condamnations à des dommages-intérêts suite à des faits de collaboration avec l'ennemi durant la deuxième guerre mondiale, ou, plus récemment, suite à des infractions pénales. On ne peut pas manquer de penser à cet égard que les quelques dérapages qu'a connus ainsi la jurisprudence étaient dus avant tout à des considérations morales.
Depuis quelques années toutefois, les règles susvisées font l'objet de nouvelles attaques de l'administration fiscale, qui tente de rejeter de nombreux frais professionnels parmi les dépenses non déductibles.
Une jurisprudence s'est ainsi développée autour des opérations financières parfois dénommées "strangle", consistant en l'achat simultané d'options put et call sur les mêmes actions et pour une même date d'échéance. Les deux options sont ensuite exercées et la société réalise une plus-value sur actions exonérée d'impôt, tandis qu'elle déduit dans un même temps, à titre de frais professionnels, les frais engendrés par l'opération (charges financières, frais boursiers, etc …).
Saisie d'un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Liège qui avait rejeté le caractère professionnel de tels frais, la Cour de cassation a confirmé, par son arrêt du 18 janvier 2001, la décision entreprise aux motifs "que de la circonstance qu'une société commerciale est un être moral créé en vue d'une activité lucrative, il ne se déduit pas que toutes ses dépenses peuvent être déduites de son bénéfice brut" et "que les dépenses d'une société commerciale peuvent être considérées comme des frais professionnels déductibles lorsqu'elles sont inhérentes à l'exercice de la profession, c'est-à-dire qu'elles se rattachent nécessairement à l'activité sociale".
Pour qu'elle puisse être déduite à titre de frais professionnel, une dépense effectuée par une société doit donc non seulement être faite "en vue d'acquérir ou de conserver des revenus", mais elle doit en outre être inhérente à l'exercice de la profession, c'est-à-dire se rattacher nécessairement à l'activité sociale.
Cette jurisprudence de la Cour a été vivement critiquée par la doctrine, dans la mesure où elle ajoute ainsi à la déductibilité à titre de frais professionnel une condition que le texte légal n'impose absolument pas.
Nonobstant ces critiques, la Cour a réaffirmé depuis sa jurisprudence, notamment par ses arrêts des 19 juin et 12 décembre 2003.
Comme on pouvait le craindre, cette jurisprudence est de plus en plus souvent invoquée devant les juges de fond, et confirmée par ceux-ci, comme en témoigne le récent arrêt de la Cour d'appel de Mons du 22 octobre 2004.
En l'espèce, il s'agissait à nouveau d'un litige relatif à la déduction des frais engendrés par une opération strangle. La Cour d'appel rejette cette déduction en se référant expressément aux motifs susvisés de l'arrêt de la Cour de cassation et au motif qu'en l'espèce, le contribuable ne démontre pas que l'opération réalisée pouvait être rattachée à l'activité sociale, même si l'objet social comprenait une clause, qualifiée par la Cour de "clause de style", au terme de laquelle la société pouvait acquérir par achat, souscription ou de toute autre manière, des valeurs mobilières de toute nature et faire toutes opérations mobilières liées directement ou indirectement à son objet.
La Cour examine ainsi l'opération au regard de l'objet social du contribuable, ce qui n'est déjà pas prévu par l'article 49 du CIR, mais écarte en outre de ce dernier toutes les clauses que l'on rencontre habituellement dans les statuts des sociétés, qui visent à assurer à celles-ci une pleine capacité d'action, au motif qu'il s'agit là de clauses de style.
On le voit, l'application répétée de cette jurisprudence de la Cour de cassation risque d'entraîner les Cours et tribunaux dans une dérive complète par rapport aux principes inscrits dans l'article 49 du CIR, au détriment des contribuables qui auront beaucoup de mal à démontrer que telle ou telle dépense était nécessaire à l'activité sociale, notamment lorsqu'il s'agit d'une opération mobilière ou immobilière connexe à l'activité proprement dite.