La commission des normes comptables a diffusé le projet d'un avis "relatif à la comptabilisation des actifs obtenus à titre onéreux ou à titre gratuit" (n° 126/17).
Si ce projet devait être suivi par la Commission – dont les avis n'ont, rappelons-le, qu'une valeur doctrinale -- et par la jurisprudence, il pourrait avoir des conséquences extrêmement lourdes en matière fiscale.
Le projet d'avis vise des conventions non économiquement équilibrées. Il peut s'agir soit de donations pures et simples à des entreprises (ce qui est rare), soit de ventes à des prix réduits ou artificiellement élevés, qui favorisent une entreprise par rapport à son cocontractant, volontairement ou non.
La Commission voudrait préconiser que, dans ce cas, la différence entre la valeur "objective" du bien acquis et le prix éventuellement payé soit immédiatement prise en résultat. En d'autres termes, si un actif est acquis pour le prix de 100 et qu'il vaut 500 sur le marché, il faudrait immédiatement comptabiliser un bénéfice de 400.
On aperçoit immédiatement la possibilité pour l'administration fiscale de remettre en cause un très grand nombre de conventions conclues entre parties, plus ou moins liées, sous prétexte qu'elles ne partagent pas l'avis des contractants quant au prix convenu. Lorsqu'il s'agit de cession d'actions, dont la valeur est souvent difficile à déterminer de manière objective, les risques de litiges sont multiples, et ils peuvent aboutir, paradoxalement, à la taxation d'un bénéfice fictif qui, s'il avait été réel, n'aurait pas été imposable parce qu'il aurait consisté en une plus-value sur actions…
Le projet d'avis particulièrement peu documenté en droit civil, se fonde sur la présomption que, lorsqu'il existe une différence importante entre le prix payé et une valeur objective, d'un bien, il y a une libéralité au profit de la partie avantagée.
Ce raisonnement est d'autant plus étonnant qu'il a été écarté par un arrêt de principe de la Cour de cassation du 9 mars 1998.
La Commission se fonde en outre sur une conception périmée depuis plus d'un siècle de la notion de "libéralité" ou encore de ce qu'elle appelle un acte "partiellement à titre gratuit".
Il y a longtemps que la doctrine a cessé de considérer que l'existence d'une libéralité devait s'apprécier d'une manière "abstraite", simplement en constatant une différence entre les prestations réciproques. La doctrine moderne considère qu'il faut en outre l'intervention de valeurs morales, sentimentales ou de reconnaissance qui ne se retrouvent pratiquement jamais dans des actes conclus au profit de sociétés.
Enfin, la Commission prétend vouloir appliquer les normes IAS : faut-il lui rappeler que son rôle est de donner un avis sur l'application de droit belge, qui ne s'inspire nullement de ces normes, et non d'anticiper d'éventuelles modifications législatives, ou réglementaires, qui sont du seul ressort des pouvoirs législatif et exécutif ?
Il est significatif que ce projet d'avis apparaisse précisément au moment où, dans une affaire qui fait grand bruit, l'administration fiscale, se livrant à une véritable opération d'ingénierie, prétend taxer une société sur l'avantage qui aurait résulté pour elle d'une acquisition à bas prix d'actions cédées par certains de ses actionnaires.
Si la mode consistant, pour les autorités publiques, à demander ou à obtenir des avis de commissions (d'experts) peut présenter des avantages, ce n'est assurément qu'à la condition que ceux-ci soient réellement indépendants, surtout à l'égard des administrations auxquelles ces avis sont destinés.
La question qui s'est posée récemment à propos du conseil supérieur des finances, mériterait d'être examinée attentivement pour la Commission des normes comptables également.
Thierry AFSCHRIFT